Introduction
L’an dernier, j’ai accompagné une collègue à passer de la dictée traditionnelle à la dictée zéro faute (un type de dictée métacognitive). Bien qu’elle ne connaissait pas cette pratique, elle l’a adoptée rapidement pour ses nombreux bienfaits et ne reviendrait plus en arrière. Dans ce texte, je partagerai les étapes que nous avons traversées ensemble dans ce processus. Vous découvrirez comment la dictée zéro faute peut faire progresser davantage vos élèves que la dictée traditionnelle. Je pense bien vous convaincre d’ici la fin de cet article !
Prendre conscience de l’impact de la dictée traditionnelle
Je ne dis pas que la dictée traditionnelle devrait être abolie, mais je préfère de loin d’autres types d’activités d’apprentissage. C’est exactement ce que devrait être la dictée : un levier vers l’apprentissage et le développement d’automatismes et de stratégies en contexte d’écriture. Revenons à la dictée traditionnelle, ce symbole officiel de l’école depuis la nuit des temps. Il faut avoir un objectif précis et une intention pour l’utiliser. Qu’évalue-t-elle vraiment ? L’orthographe d’usage et grammaticale… c’est tout ! Cette dictée de mots isolés ou de phrases pourrait être utilisée comme évaluation diagnostique en début d’année pour connaître les forces et les défis de nos élèves (et surtout, les interventions à prioriser).
Le problème avec cette fameuse dictée traditionnelle, c’est qu’elle place souvent les élèves en position de stress. Je les comprends :
L’enseignante, munie de son corrigé, énonce les phrases fatales. Ils sont seuls et démunis s’ils ne connaissent pas l’orthographe d’un mot. Tant pis, ils n’avaient qu’à mieux étudier les mots à la maison avec papa et maman !
En y réfléchissant, c’est assez drôle de demander cette tâche aux élèves. Alors que même les adultes, quand nous ne savons pas écrire un mot, nous prenons des moyens, des outils et employons des stratégies. On se mobilise pour avoir réponse à nos doutes orthographiques. Pourquoi des élèves, qui sont en processus d’apprentissage, ne pourraient-ils pas faire de même ? Après tout, la vie n’est pas un concours d’orthographe !
Dire au revoir à la fameuse dictée du vendredi. Vraiment ?
La dictée fait-elle de nos élèves de meilleurs auteurs ? Je ne vous apprends rien : l’orthographe d’usage et grammaticale ne correspond qu’à 20 % de la compétence à écrire. La fameuse grille d’évaluation comprend de nombreux autres critères tels que l’adaptation à la situation d’écriture, le vocabulaire, la cohérence du texte, la ponctuation, etc.
Écrire, c’est beaucoup plus qu’orthographier. Or, quand on fait une dictée, on évalue seulement l’orthographe.
Pour répondre à la question : non, la dictée traditionnelle ne fait pas de nos élèves de meilleurs auteurs. Fait-elle d’eux de meilleurs scripteurs ? Pour cela, vos élèves doivent développer un doute orthographique, des stratégies d’orthographe et une conscience syntaxique. Ce n’est donc pas en les plaçant dans une position où ils ne peuvent pas se mobiliser, sans leurs outils, leur dictionnaire, leurs logiciels qu’ils deviendront meilleurs en orthographe… d’autant plus si les mots à orthographier ne sont pas travaillés et analysés en classe.
En somme, la dictée traditionnelle peut être utile pour évaluer le niveau d’orthographe d’un élève, mais elle peut aussi avoir des désavantages pour son apprentissage :
- en mettant l’accent sur l’orthographe plutôt que sur la compréhension,
- en manquant de rétroaction immédiate,
- en limitant les occasions de réflexion sur son propre processus d’apprentissage,
- en créant du stress et de l’anxiété.
Découvrir les avantages de la dictée zéro faute
Vous souhaitez permettre à vos élèves de développer leurs compétences en orthographe dans une position beaucoup plus réaliste ? La dictée zéro faute vise à ce que les élèves obtiennent un score parfait, c’est-à-dire aucune faute (attention, faire des erreurs est normal et fait partie du processus d’apprentissage, il faut le mentionner en classe). Découvrez cette pratique qui :
- modélise les raisonnements orthographiques des pairs,
- amène des discussions et des débats au sujet des hypothèses des élèves,
- permet de développement le doute orthographique,
- encourage le jeune à poser des questions à l’enseignante durant la tâche et à utiliser des outils et stratégies pour améliorer l’orthographe,
- met l’accent sur la compréhension des règles orthographiques, l’analyse et la compréhension d’erreurs fréquentes,
- encourage les élèves à développer leur capacité à réfléchir.
L’élève qui se dit : Je ne suis pas certain que ce soit bien écrit. (mot = Ils manges les tendres carottes.)
L’élève qui pose une question : Est-ce que mange est un verbe ou un nom ?
- Enseignante qui se dit : Oh, je devrais retravailler les classes de mots avec certains élèves en petits groupes.
- Enseignante (aux élèves) : Comment pourrais-je savoir si mange est un verbe ? Élèves avec les mains levées, d’autres qui ne connaissent pas la réponse.
- Un élève répond : On peut l’encadrer par NE PAS. On peut le conjuguer avec le sujet : je mange, tu manges… ici, c’est ils !
- Élève : Oh… Je pensais que c’était un nom, je suis poche ! Autre élève : On s’entraide, tu viens d’apprendre de cette erreur !
- Enseignante : Chaque fois que je me pose la question, je fais mes manipulations syntaxiques ! Faites-le aussi.
- Mon sujet est le pronom ils et donc, mon verbe doit être accordé autrement (E-N-T).
Comprendre quelles sont les étapes de la dictée
Fréquence : régulière (2-3 semaines)
Durée : une période
Élèves ciblés : tout le groupe ou un sous-groupe
- Une phrase à la fois
- Le nombre de phrases déterminera la durée de l’activité (5 phrases étaient suffisantes dans ma classe multi 5e et 6e année)
- Laisser une courte pause pour permettre aux élèves de se réviser seul avec leurs outils.
- Ils peuvent également souligner les mots qui leur posent des doutes et préparer leurs questions.
- Une variante est de faire travailler les élèves en équipes (voir section 5), l’échange est donc vraiment riche. Je recommande un peu plus de temps.
- Pour chaque question posée, important de questionner l’élève pour qu’il explique son raisonnement grammatical
- Reformulation de la question au besoin pour valoriser le vocabulaire approprié (métalangage)
Lorsqu’il n’y a plus de questions, on passe à la phrase suivante.
La correction de la dictée peut se faire en grand groupe ou bien directement sur la copie avec une rétroaction personnalisée.
- Fournir des réponses toutes faites aux élèves
- Guidons-les dans leur raisonnement
- Laissons place à la modélisation par les pairs
- Employer un vocabulaire imprécis
- S’appuyer sur les manipulations syntaxiques comme preuve
- Utiliser un métalangage pour clarifier les discussions grammaticales (ne pas parler du complément de phrase comme « l’assiette planche à roulettes », référence à la grammaire 3D)
Enseigner aux élèves à poser des questions
Voici un tableau d’ancrage que j’aime bien utiliser lorsque je présente la dictée zéro faute pour la première fois à mes élèves. En effet, lors des premières périodes, même après un enseignement explicite des questions à poser, les élèves auront besoin de vous pour les guider vers des questions. N’hésitez pas à leur en poser vous-mêmes au départ ou leur donner des indices sur de bonnes questions dans certains contextes.
Document réalisé par Marie-Philippe Goyer, orthopédagogue
Pour répondre aux questions des élèves, faites appel au groupe en posant une autre question et faites verbaliser les élèves. Vous aurez littéralement accès à leurs conceptions ! Personnellement, mes élèves me posaient généralement des questions au sujet :
- des classes de mots et fonctions de la phrase
Q : Est-ce que le sujet est pluriel ?
R : Comment peux-tu trouver ton sujet ? Maintenant que tu l’as, comment savoir s’il est au pluriel, quelqu’un aurait une stratégie ?
- et de l’orthographe d’usage
Q : Est-ce que le en de facilement est le même que dans ange ?
R : Bonne question ! Non, le en de facilement n’est pas le même que ange. Tu peux aussi te référer à notre aide-mémoire au sujet de la régularité orthographique des mots qui finissent par MENT.
Q : Est-ce que le mot manges a 6 lettres ?
R : Le mot manges a 6 lettres.
Variantes intéressantes
Les élèves travaillent en équipe de deux et doivent arriver à un consensus pour remettre une seule version à la fin de la période.
Avantage : comme les discussions se font à deux, les élèves sont en interaction constante. Ils se sentent donc davantage impliqués. Les élèves les plus habiles deviennent des modèles pour les élèves en difficulté.
Les élèves de Marie-Philippe Goyer travaillent en collaboration durant l'activité.
La dictée est écrite au tableau et les élèves, en équipe de deux, doivent la réécrire en changeant certains mots, groupes de mots ou certaines phrases préalablement sélectionnés par l’enseignante.
Avantage : un autre défi s’ajoute, le souci de la cohérence lors du choix des mots.
Les élèves de Marie-Philippe Goyer ont droit à tous leurs outils durant la dictée métacognitive.
Pour aller plus loin
- L’article La « dictée 0 faute » et la « phrase dictée du jour » : un début de solution aux difficultés en orthographe grammaticale (Nadeau, M et collaborateurs)
- L’article Les dictées innovantes : Un moyen simple de se positionner comme leader pédagogique (CTREQ, RIRE)
- Ressources et documentation de Pédago Mosaïque au sujet des dictées innovantes
- Charron, A., Dupin de Saint-André, M., et Montésinos-Gelet, I., La lecture et l’écriture : fondements et pratiques à l’éducation préscolaire et au 1er cycle du primaire. (2022). Chenelière éducation
- Dupin de Saint-André, M., Montésinos-Gelet, I et Tremblay, O., La lecture et l’écriture : fondements et pratiques 2e et 3e cycles du primaire. (2022). Chenelière éducation
Un peu plus sur l'autrice
Détentrice d’un baccalauréat en adaptation scolaire et sociale, Marie-Philippe a travaillé en classes spécialisées ainsi qu’en orthopédagogie en milieux scolaires et privés. Présentement gestionnaire et créatrice de contenus à l’Institut des troubles d’apprentissage du Québec, elle satisfait sa curiosité professionnelle en collaborant avec des experts et pédagogues passionnés. Consultante pour l’entreprise ALEO VR, Marie-Philippe conçoit des jeux visant à rééduquer les troubles spécifiques en lecture grâce à la réalité virtuelle. Elle a également fondé l’entreprise ScolAide qui vise à outiller le plus grand nombre d’enseignants et d’élèves en difficulté par le biais de conférences, consultations, capsules vidéos et documentation en ligne. Passionnée de littérature jeunesse et récipiendaire du prix Étincelle de reconnaissance en lecture du MEES, elle a complété un microprogramme en didactique cognitive des difficultés d’apprentissage de la lecture-écriture à l’UQAM et collabore au blogue J’enseigne avec la littérature jeunesse.