Introduction
Écrire, c’est raconter une histoire. Une histoire pour faire rire, rêver ou se détendre, une histoire pour informer, apprendre ou défendre une idée. Un texte écrit est toujours une histoire. Cet article vise tous les David, les Geneviève, les Mohamed, les José, les Rita, les May et tous les parents qui souhaitent accompagner leurs enfants dans le développement de leurs compétences écrites.
Revenons à la case départ
Un texte écrit est avant tout une histoire.
Les histoires peuvent être racontées à l’écrit, bien sûr, mais aussi à l’oral ou en langue signée, en français ou en vietnamien. Elles peuvent même être racontées à soi-même, dans sa tête. On n’a pas besoin de papier ou de crayon pour raconter une histoire.
Cette habileté à raconter des histoires se développe dès le plus jeune âge, grâce à une variété d’expériences que vivent les enfants, petits ou grands. Les livres qu’ils partagent avec leur père ou leur grande sœur, les activités qu’ils font avec leur maman qui leur donnent tant de bonheur, les jeux qu’ils partagent avec leurs amis, les muffins qu’ils préparent à la garderie… Toutes ces expériences leur permettent d’emmagasiner des souvenirs susceptibles d’être racontés.
Encourager les enfants à raconter leur journée, leurs rêves, le match de soccer ou encore le reportage sur les grenouilles géantes du Cameroun qu’ils ont vu à la télévision est une mini-leçon d’écriture. Les adultes doivent les écouter et s’y intéresser, poser des questions et demander des précisions, réagir, pleurer ou faire semblant d’avoir peur. Par ces actions, les parents accompagnent leurs enfants dans l’écriture.
L’écriture, sur papier, commence toujours dans la tête du scripteur, c’est-à-dire du conteur d’histoire. Il doit avoir un but, une idée à raconter. Il doit ensuite développer son idée et organiser les sous-idées pour se faire comprendre et assurer la cohérence de l’histoire. Il doit utiliser les bons mots et faire des phrases acceptables à l’écrit. Évidemment, écrire, c’est un peu plus que cela, mais toutes ces actions peuvent être posées à l’oral. Elles permettent « d’écrire » sans papier ni crayon.
Les processus d'écriture
Un grand nombre de processus participent à la rédaction d’un texte. La plupart des processus sont également sollicités pour produire un texte oral. En voici quelques-uns liés au traitement du texte, des phrases et des mots.
Le texte, écrit ou oral, répond à une intention et s’adresse à un destinataire. On n’écrit pas un texte pour exprimer son amour pour son papa comme on écrit un texte sur son animal préféré pour l’exposition de fin d’année de la classe.
Le texte, écrit ou oral, est formé d’idées principales et secondaires. Ces idées sont organisées de manière à répondre à une intention et à assurer la cohérence du texte. Là où diffère l’écrit de l’oral, c’est en ce qui concerne le mode de transmission du message. À l’oral, la parole permet de communiquer. Alors qu’à l’écrit, c’est l’écriture qui permet la communication grâce aux idées regroupées en paragraphes, chacun formé d’une ou de plusieurs phrases.
En règle générale, les phrases de chaque paragraphe doivent inclure au minimum un sujet et un verbe conjugué. Ce sont les éléments obligatoires de la phrase de base. La phrase doit être porteuse de sens, et le scripteur doit faire attention à ne pas oublier de mots, à ne pas ajouter de mots superflus et à mettre les mots dans le bon ordre. Avec le temps, l’enseignement formel et la pratique, l’élève apprend que les mots de la phrase sont liés et que certains marqueurs (marques du genre, du nombre et marques d’accords verbaux) expriment ces liens à l’écrit. C’est ce qu’on appelle l’orthographe grammaticale. Plusieurs marques grammaticales ne sont pas audibles. Elles sont spécifiques à l’écrit (Line et sa sœur achètent de jolies fleurs vendues au marché).
Enfin, pour écrire des phrases, le scripteur a besoin de mots. Les mots doivent idéalement être orthographiés correctement, mais aussi être justes, pertinents et variés.
Écrire sans papier ni crayon, c’est possible, mais comment ?
Voici quelques idées à mettre en place dans un contexte amusant et sans aucune obligation de la part de l’enfant. Les parents peuvent facilement s’en inspirer pour accompagner leur enfant dans le développement de leurs habiletés langagières utiles à l’oral et, éventuellement, à l’écrit. Ces activités ont en commun de faire parler les enfants, de les encourager à préciser leur pensée, à compléter leur description d’un événement ou d’un personnage, à inventer une histoire, à créer dans leur tête pour raconter ensuite, à jouer des rôles, à répondre à des questions, à échanger pour le plaisir ou pour argumenter respectueusement, à faire rire, etc.
Les activités proposées permettent non seulement de développer des connaissances et de les utiliser, mais dans certains cas, de réfléchir à des aspects de la langue, comme les règles d’accord ou l’orthographe des mots. C’est le cas, plus spécifiquement, lorsqu’on pose des questions aux enfants.
Pour travailler les procédures de traitement du texte à l’oral, voici quelques idées d’activités :
- Lors de la lecture du soir, posez des questions à l’enfant pour déterminer s’il comprend, pour l’amener à inventer la suite de l’histoire, pour lui demander son avis sur l’action d’un personnage, etc.
- Mimez une histoire pour la faire deviner à votre enfant.
- Devinez l’histoire mimée par votre enfant.
- Planifiez et jouez une pièce de théâtre.
- Faites des jeux de rôle avec des thèmes spécifiques comme l’école, le restaurant, l’équipe de hockey, le pharmacien, l’animatrice de télévision, le château de la Reine des neiges, etc.
- Favorisez les échanges lors des repas en famille, orientez la discussion à l’aide d’un thème.
Pour travailler les procédures de traitement de la phrase, voici quelques idées d’activités :
- Prononcez une phrase et demandez aux enfants s’il y a une erreur. Les phrases peuvent être incorrectes parce qu’il manque un mot, qu’il y a un mot en trop ou que les mots ne sont pas dans le bon ordre. Si c’est le cas, demandez-leur de rendre la phrase acceptable.
- Proposez un bout de phrase et demandez aux enfants d’inventer la partie manquante. Avec le verbe et ses compléments, demandez aux enfants quel est le sujet (… manger une pomme rouge — qui ou qu’est-ce qui peut manger une pomme rouge ?).
- À l’inverse, donnez un sujet et demandez aux enfants de compléter la phrase (L’éléphant rose de Mme Racette… Qu’est-ce qui arrive à l’éléphant rose ?).
- Lorsque l’enfant a appris les règles d’accord…
- Comment écris-tu « jolies » dans Les jolies filles de mon frère sont à la maternelle ?
- Comment écris-tu « jouent » dans Mes voisines jouent au soccer le samedi ?
Comment écris-tu « mange » dans Le chien de mes amis mange toujours les fleurs du jardin ?
Pour travailler les procédures de traitement des mots, plusieurs activités sont possibles. Elles se basent principalement sur des questions posées à l’enfant et sur les questions que l’enfant peut éventuellement formuler lui-même.
- Le jeu des synonymes et des antonymes : Trouve un mot qui a le même sens que… ou qui a le sens contraire de…
- Trouve des mots qui représentent un objet qu’on retrouve dans le salon, dans le garage, dans la classe, etc.
- Trouve des mots qui sont caractérisés par la couleur rouge, leur rondeur, le fait qu’ils servent à manger, le fait qu’ils soient des meubles, etc.
- Trouve des mots amis, c’est-à-dire des mots qui vont bien avec des mots spécifiques :
- Aller : qui peut aller ? (Réponses possibles : je, ma mère, les voisins, le chat, etc.)
- Aller : où peut-on aller ? (Réponses possibles : à la bibliothèque, à la maison, à la campagne, chez mon ami, etc.)
- Vert : qu’est-ce qui peut être vert ? (Réponses possibles : les feuilles, un chandail, un crayon, etc.)
- Vert : qu’est-ce qui ne peut pas être vert ? (Réponses possibles : une framboise, un mouton, le soleil, etc.)
- Table : complète la phrase : La table de… (Réponses possibles : de la salle à manger, du salon, de ma tante Rita, de bois, etc.)
- Activités à partir des mots que l’enfant a appris à écrire (les mots de la semaine). Voici des questions pour les mots maison et chapeau.
- Dans maison, combien de syllabes entends-tu ? (Réponse : 2)
- Quel est le 2e son du mot maison ? Comment s’écrit ce son ? (Réponse : ai)
- Quelle est la 3e lettre du mot maison ?
- Quel est le dernier son du mot maison ? Ce son s’écrit avec une lettre, deux lettres ou trois lettres ? (Réponse : 2 lettres — on)
- Quelle est la lettre devant le O dans maison ?
- Quelle est la 2e syllabe du mot chapeau ? (Réponse : peau)
- Comment s’écrit le son O dans chapeau ?
- Comment s’écrit le premier son de chapeau ? (Réponse : ch)
- Quelle est la lettre entre le E et le U dans chapeau ?
Il existe mille façons d’amener les enfants à écrire sans papier ni crayon. L’important est de leur montrer qu’ils sont capables de le faire. Lorsque les enfants sont confiants dans leurs habiletés à l’oral et qu’ils vivent une variété d’expériences, ils ont plus confiance en eux lorsque vient le temps d’écrire. Lorsqu’on dit à l’enfant « tu vois, tu peux le faire à l’oral », il comprendra qu’il a déjà une base de connaissances et d’habiletés sur laquelle il peut construire la compétence écrite.
On dit souvent qu’on ne fait pas du neuf avec du vieux, mais dans le cas de l’apprentissage, les nouvelles connaissances se greffent toujours aux anciennes. En permettant à l’enfant de prendre conscience de ses « anciennes » connaissances à l’oral, il pourra mieux greffer les nouvelles connaissances à l’écrit.
Pour aller plus loin
- Costerg, A., Berthiaume, R. et Daigle, D. (à paraître). Petits trésors pour futurs grands lecteurs : activités orales pour préparer l’entrée dans l’écrit. Montréal : Chenelière Éducation.
- Daigle, D. et Berthiaume, R. (2021). L’apprentissage de la lecture et de l’écriture — décomposer les objets d’enseignement en microtâches pour les rendre accessibles à tous les élèves. Montréal : Chenelière Éducation.
- Daigle, D., Costerg, A., Plisson, A., Ruberto, N. et Varin, J. (2016). L’orthographe sans papier ni crayon. Montréal : Chenelière Éducation.
- Dumais, C. et Soucy, E. (2019). Des déclencheurs de parole pour stimuler l’oral spontané des élèves du primaire. Trois-Rivières : Université du Québec à Trois-Rivières, 39 pages.
Pour consulter le document, cliquez ici. - Dumais, C. et Soucy, C. (2020). La littérature jeunesse pour stimuler la substitution. Présentation de 17 albums. Trois-Rivières : Université du Québec à Trois-Rivières, 20 pages.
Pour consulter le document, cliquez ici. - Séquence 1 d’enseignement de l’oral à la formation générale des adultes : vidéos, ateliers formatifs et fiches reproductibles
http://www.accompagnementfga.ca/fle/blocs/bloc-5-enseigner-loral/ - Séquence 2 d’enseignement de l’oral à la formation générale des adultes : vidéos, ateliers formatifs et fiches reproductibles
http://www.accompagnementfga.ca/fle/blocs/bloc-5-enseigner-loral-2/
Les auteurs
Daniel DAIGLE, Professeur, Université de Montréal
Daniel Daigle est professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Il détient un doctorat en éducation (didactique) de l’Université de Montréal et un postdoctorat en psycholinguistique de l’Université de Strasbourg. Il est aussi titulaire d’un baccalauréat en enseignement du français langue seconde et d’une maîtrise en didactique des langues de l’Université du Québec à Montréal. Il a enseigné le français pendant une quinzaine d’années avant d’occuper un poste à l’Université de Montréal et ses recherches actuelles concernent l’apprentissage de la lecture et de l’écriture du français écrit et des difficultés qui y sont associées.
Rachel BERTHIAUME, Professeure, Université de Montréal
Rachel Berthiaume est professeure au département de didactique de l’Université de Montréal depuis le 1er juin 2009. Elle est titulaire d’un baccalauréat en sciences du langage, d’une maîtrise en didactique ainsi que d’un doctorat en linguistique appliquée. À son avis, la recherche en didactique est un apport important à l’évolution de toute communauté et doit s’ancrer, dans la mesure du possible, dans des problématiques sociales pour contribuer au mieux-être des personnes et des systèmes dans lesquels celles-ci évoluent. C’est dans ce contexte qu’elle perçoit ses activités de recherche, qui portent principalement sur les processus associés à la reconnaissance et à la production de mots ainsi qu’à la compréhension en lecture chez les élèves aux prises avec des difficultés d’apprentissage.
Christian DUMAIS, Professeur, Université du Québec à Trois-Rivières
Christian Dumais est professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières depuis 2014. Il détient un doctorat en science de l’éducation spécialisé en didactique de l’oral et une maîtrise en linguistique, profil didactique du français. Il a été enseignant au primaire et au secondaire à la suite de l’obtention de son baccalauréat en enseignement du français au secondaire. Passionné par la didactique du français, il s’intéresse à l’enseignement et à l’évaluation de l’oral à tous les ordres d’enseignement ainsi qu’au développement de la compétence à communiquer oralement des futurs enseignants et du personnel scolaire. Il s’intéresse également au jeu symbolique et au développement du langage des enfants de 4 ans et 5 ans.
Oxana LEONTI, Chargée de cours, Université de Montréal
Oxana Leonti détient un doctorat en éducation de l’Université de Montréal et est chargée de cours à la même université. Ses réflexions portent essentiellement sur la réussite éducative des élèves ayant des troubles langagiers. Elle s’intéresse entre autres aux pratiques pédagogiques orientées sur le soutien à l’apprentissage de la langue écrite et au développement des habiletés communicationnelles chez ces apprenants.