Enseigner à 2, c’est mieux : un modèle de coenseignement
Introduction
Le mandat octroyé aux enseignants peut être éreintant. Ainsi, on pourrait croire qu’avoir à partager son quotidien et tout ce que ça implique d’arrimage sur le plan pédagogique, didactique et humain est un exercice fastidieux. Or, le coenseignement apporte également son lot de bénéfices considérables. Imaginez un acolyte avec lequel vous pouvez partager la charge mentale qu’exige enseigner à des dizaines d’élèves ayant chacun des besoins et des défis différents. Imaginez être deux pour offrir du soutien à tous vos élèves. Attirant, non?
Qu’est-ce que le coenseignement chez nous?
Notre classe, c’est 2 enseignantes, une quarantaine d’élèves de 5e et 6e année et 2 locaux. Dans une journée, ils sont regroupés de différentes façons : en comités, par niveau, par type de texte (ateliers d’écriture), par groupes de spécialistes, par groupes de décloisonnement (en cycle), etc.
Chaque vendredi, ils reçoivent l’horaire complet de la semaine suivante. Ils y retrouvent la planification des activités de la semaine et les locaux de chacune des périodes. Lors des transitions, ils passent à leurs casiers, là où se trouve tout leur matériel. Une bonne préparation pour le secondaire!
Chaque matin, la routine se déroule en décloisonnement avec tous les élèves du cycle. Un horaire en rotation leur permet de lire pour le plaisir, avancer leurs travaux, travailler avec leur comité, poursuivre un projet, étudier, etc. Ensuite, notre groupe et nous nous rassemblons dans le même local. Nous développons notre sentiment d’appartenance : nous discutons, nous réfléchissons, nous rigolons, nous partageons, nous nous organisons, nous faisons des rappels. Bref, nous commençons notre journée du bon pied!
Le décloisonnement avec notre autre collègue de cycle a aussi une place importante dans notre semaine. Nous organisons des périodes d’art, de sciences et de grammaire où chacun de nous est responsable d’une de ces matières (planification et évaluation). En univers social, une enseignante s’occupe des élèves de 5e année et une autre des élèves de 6e année. La troisième personne est alors en soutien (gestion de classe, soutien aux élèves, planification, évaluation, etc.). Chaque semaine, nos élèves ont aussi une période de projets personnels ou évènementiels. Ils sont tous mélangés et ont une enseignante de référence.
De notre côté, nous avons décidé de faire du coenseignement de façon intégrale. Ce n’est pas possible dans votre milieu ou vous ne vous sentez pas prêtes? Trouvez-vous des collègues pour faire du décloisonnement. À notre école, c’est monnaie courante. Ce sera une petite saucette que vous ne regretterez pas!
Une pratique riche et inclusive
À deux, nous arrivons à varier davantage les dispositifs que nous mettons en place afin de soutenir un plus grand nombre d’élèves et en répondant de façon plus pointue à leurs besoins spécifiques. Par exemple, pendant qu’une enseigne une notion, l’autre peut observer et colliger les forces et défis des élèves ou encore travailler avec un petit groupe à l’écart. En mettant en commun fréquemment ces traces d’observations multiples et variées, nous sommes en mesure de nous réajuster rapidement et continuellement afin de répondre aux besoins réels et actuels de nos élèves au moment où ceux-ci se manifestent. Depuis que nous travaillons à deux, nous dressons un portrait plus juste de nos apprenants et nous avons une meilleure compréhension de nos élèves en général et ces derniers progressent rapidement.
Ce travail en duo nous permet également d’offrir davantage de choix à nos élèves sur une base régulière (activités, modes d’évaluation, types de textes abordés, locaux de travail, type de regroupement, capsules d’enseignement, etc.). Comme la notion de choix est un facteur important pour la motivation scolaire, nous remarquons que nos élèves démontrent un degré d’engagement hors du commun année après année. Cette possibilité de choisir peut réellement, selon nous, être un facteur déterminant pour qu’un élève plus passif se mobilise enfin.
De plus, nous offrons au quotidien un modèle sain de collaboration efficace et de travail d’équipe équitable et pérenne. Nos élèves nous voient interagir, nous réajuster, communiquer, défendre notre point de vue, nous épauler, nous soutenir, rire, etc.
Avoir deux paires d’épaules pour mettre en œuvre et appliquer les différents moyens élaborés aux plans d’intervention est aussi très gagnant. Cela permet de partager la lourdeur que ça peut générer en plus de pallier un oubli de l’une d’entre nous. Nous récoltons alors plus rapidement le fruit des dispositifs expérimentés.
Le fait d’être toujours deux pour gérer le groupe nous permet aussi de mener à terme certaines interventions qui étaient autrefois interrompues par nos responsabilités qui nous rattrapaient. Ainsi, lorsque nous devons discuter d’une situation avec un élève ou un petit groupe après une période, l’une de nous peut terminer l’intervention même si le groupe revient de la récréation ou du diner.
Être deux nous permet également de mieux collaborer avec tous les intervenants qui travaillent avec nos élèves. La communication se fait plus rapidement, que ce soit avec un spécialiste, l’orthopédagogue, la TES ou les éducatrices du service de garde qui ont parfois à nous transmettre de l’information nécessaire au bon déroulement du reste de la journée. En ce sens, nos élèves ont toujours l’occasion de se tourner vers l’une ou vers l’autre pour se confier ou pour nous demander conseil. Bref, être deux nous permet d’être plus.
Les conditions favorables pour que ça fonctionne
Le coenseignement n’est pas possible avec n’importe qui! Pour que l’expérience soit enrichissante pour tous, il importe, selon nous, de satisfaire certaines conditions.
Elles guideront les décisions prises concernant la planification, le lien avec les élèves, les rencontres de parents, l’élaboration des plans d’intervention. Elles doivent être cohérentes pour l’une comme pour l’autre.
Il est important que chacun sente qu’il apporte à l’autre et qu’il en retire des bénéfices aussi. Profiter des forces de chacun et contribuer de façon équitable.
Afin d’éviter les situations « bon cop, bad cop », il est essentiel que les deux enseignantes aient les mêmes exigences et un niveau de tolérance similaire. Les interventions sont alors cohérentes et conséquentes d’une intervenante à l’autre.
Qui dit coenseignement dit partage des tâches, des matières, de l’évaluation, des rencontres, des informations. Tout ne peut pas se faire à deux, il faut avoir confiance en l’autre.
Faire du coenseignement, c’est se réajuster constamment. Parfois, c’est aussi vivre des inconforts. La communication est cruciale afin d’assurer un climat sain et riche pour les enseignantes et les élèves.
Comment contrer les obstacles
Le coenseignement vient inévitablement avec beaucoup de temps de concertation. Il est donc important de planifier ces moments d’échanges (hebdomadaires, mensuels, etc.) et, en amont, de dresser la liste des sujets à aborder. Un partage équitable des différents mandats est aussi primordial. Les élèves peuvent se désorganiser rapidement si les attentes ne sont pas claires ou manquent de cohérence entre les intervenants. En début d’année, nous créons des tableaux d’ancrage à propos de nos attentes dans différents contextes. Nous consacrons alors plusieurs périodes à les expliquer et à modéliser les comportements à adopter. Nous organisons aussi plusieurs activités de coopération pour créer une cohésion entre les élèves et un sentiment d’appartenance.
L’organisation de la classe peut être complexe, il y a tellement de choses à penser! Commencez par faire un horaire type hebdomadaire. En plaçant les périodes récurrentes (routines, décloisonnement, math, ateliers d’écriture, lecture, etc.), il sera plus facile de s’assurer d’un horaire équilibré. De plus, le présenter aux élèves le vendredi ou le lundi leur permet d’être autonomes et efficaces lors des transitions. En prime, cela diminue l’imprévisibilité et, ainsi, l’anxiété de certains élèves.
Une semaine, ça se remplit vite et tout ce que nous voudrions faire n’entre pas! Force est de constater que le coenseignement nous oblige à avoir un horaire très organisé qui laisse peu de place à la spontanéité. Pensez à vous laisser des périodes vides où chacune sera libre de décider ce qu’elle a envie de faire : une lecture interactive, de l’école dehors, un projet particulier, etc.
Conclusion
Qui dit coenseignement dit aussi partage sous plusieurs formes. Comme nous sommes deux pour penser à tout, le nombre de mémos personnels sur notre bureau a considérablement diminué ces dernières années. Nous sentons désormais que nous avons davantage d’espace mental à accorder à des projets motivants et d’autres explorations pédagogiques qui nous allument. De plus, nous ne pouvons passer sous silence le rehaussement de notre sentiment de compétence concernant l’accompagnement que nous offrons aux élèves. Bref, nous ne retournerions pas en arrière!
Pour aller plus loin
https://adel.uqam.ca/documents-a-telecharger/besoins-diversifies-eleves/guide-coenseignement/
Gagnon, L. (2021). Le coenseignement : les bénéfices semblent bien réels. CTREQ. Consulté le 17 juin 2024 https://rire.ctreq.qc.ca/le-coenseignement%E2%80%AF-les-benefices-semblent-bien-reels/
Leblanc, A. (2021). Le coenseignement : une avenue pour favoriser l’inclusion et la collaboration. CTREQ. Consulté le 17 juin 2024. https://rire.ctreq.qc.ca/le-coenseignement-une-avenue-pour-favoriser-linclusion-et-la-collaboration/
Un peu plus sur les autrices
Lucie Béchard
Depuis 2009, Lucie Béchard est enseignante, principalement au 3e cycle du primaire. Le lien avec l’élève et l’épanouissement global de celui-ci sont les éléments qui guident ses décisions au niveau tant humain que pédagogique. En 2013, elle entame un microprogramme sur l’enseignement avec la littérature jeunesse à l’Université de Montréal. Elle développe une expertise dans ce domaine et se joint à l’équipe du blogue J’enseigne avec la littérature jeunesse. Depuis, elle a écrit plus d’une cinquantaine d’articles et offre plusieurs formations aux enseignants afin de les outiller dans la mise en place de pratiques innovantes en lecture et en écriture.
Véronique D'Anjou
Véronique D’Anjou a fait un DESS en didactique avec spécialisation en littérature jeunesse à l’Université de Montréal. Elle enseigne au primaire, principalement au 3e cycle, depuis 2009. Elle chérit une approche globale où le lien avec l’humain est au cœur de ses choix didactiques et pédagogiques. Elle a été consultante pour le Lab-École et a publié dans deux de leurs ouvrages. Elle a aussi fait quelques collaborations en publiant des articles dans le blogue J’enseigne avec la littérature jeunesse. Elle a toujours été passionnée des mots, de leur puissance et de leur portée. Elle a d’ailleurs récemment publié un premier roman et continue avidement d’écrire.