Viser l’inclusion lors de l’apprentissage de l’écriture : quelques pistes issues d’expérimentations des ateliers d’écriture au secondaire
Introduction
Dans le quotidien scolaire, le chevauchement ou la cohabitation de deux paradigmes est bien palpable : l’intégration vise à mettre en place des adaptations individualisées et l’inclusion vise à répondre à la diversité des besoins de tous les élèves. Au travers de cela se retrouvent les termes différenciation, flexibilité, modification et conception universelle de l’apprentissage (CUA) qui, bien que faisant référence à des définitions différentes, semblent s’entremêler dans les discours. L’intention de cet article n’est pas de démystifier ces termes, mais bien d’explorer certaines pratiques et réflexions relatives à l’enseignement de l’écriture au secondaire, et ce, dans une perspective inclusive.
Donner accès au processus complexe d’écriture : le morceler
Écrire est un acte infiniment complexe. La croyance populaire nous amène à croire que certains ont un don et d’autres pas. Or, écrire se compare au fait de jouer du violon ou de skier! Cela s’apprend, si on en identifie les rouages pour les rendre explicites aux personnes qui ne les auraient pas saisis entre les lignes des consignes.
En tant que spécialistes du français, vous savez que tous les textes n’ont pas les mêmes caractéristiques et ne s’écrivent pas de la même manière : chaque genre a ses particularités. Une façon de rendre accessible le processus d’écriture est de le situer d’abord dans un genre lors d’une mini-leçon. Pour chaque genre, il importe d’identifier ses caractéristiques et ce qu’il y a à développer. Pour ce faire, vous pouvez adopter ces pratiques :
Observer des textes
Qu’ils soient publiés ou écrits par nous ou les élèves, observer des textes permet d’identifier les caractéristiques d’un genre, de préciser ce qu’on voudrait que nos élèves parviennent à faire et de réfléchir à ce que les auteurs ont fait. Les textes étudiés deviennent alors des modèles pour la démonstration lors de l’enseignement et pour la consultation lors de l’écriture.
Astuce de terrain
Travailler avec des collègues, incluant la conseillère pédagogique, lors de la conception de séquences d’apprentissages en écriture permet un allégement de la tâche pour chacun et apporte surtout une richesse sur le plan de la réflexion et de la planification. L’important est de cibler les habiletés et les connaissances qui nécessitent enseignement et pratique pour l’ensemble du groupe. Ces dernières doivent toucher toutes les étapes du processus d’écriture (planification, rédaction du prétexte, révision, correction, réflexion) pour chaque genre exploré!
Écrire soi-même
Il s’agit d’une autre façon d’identifier et de se rappeler ce que devront déployer tous les élèves lors de l’écriture. En écrivant, on est conscient des décisions que l’on prend en tant qu’auteur ou autrice (changer un mot, une phrase ou un paragraphe), des stratégies que l’on utilise pour écrire, se relire, régler des difficultés, etc. Écrire soi-même permet également d’ajuster votre enseignement et de vous faire vivre les embûches que pourraient rencontrer les élèves. Certains d’entre eux auront besoin d’accéder à nos stratégies, mais ça ne répondra pas aux besoins de tous! Il faut donc collectionner les façons de faire que d’autres utilisent.
D’où l’importance des échanges dans l’acte d’écriture!
Échanger avec d’autres personnes qui écrivent
Questionner nos collègues, amis ou élèves (« Comment as-tu procédé ? Qu’est-ce qui t’a amené à faire ce choix dans ton texte ? ») permet de bonifier notre répertoire de stratégies. Si j’ai tendance à noter en vrac mes idées sur des papillons adhésifs avant de les regrouper, d’en jeter et de les réorganiser, il se peut que ma cousine préfère procéder d’une autre manière avec une table des matières et une liste des intertitres qui serviront à regrouper ensuite ses idées. Il y a autant de façons de faire que de personnes. En accédant à plusieurs options, on peut découvrir celle qui nous convient le mieux. Ce qui importe, c’est qu’au-delà du « quoi faire » (un plan, par exemple) les élèves puissent avoir accès au « comment faire » grâce à différentes façons de procéder.
Astuce de terrain
Pour structurer mon enseignement, j’utilise le rappel visuel ci-dessous afin de toujours me souvenir de l’intention, de ce que je veux que les élèves apprennent et puissent pratiquer. Cet outil me permet de maintenir un fil conducteur pendant le pilotage de la mini-leçon et ainsi aller droit au but dans un souci de concision pour enseigner les techniques d’écriture qui profiteront à chacun.e.
Soutenir le développement de la compétence : de la pratique, des modèles et de la rétroaction
Quand on apprend quelque chose de nouveau, on a besoin d’imiter avant de se l’approprier. Il faut pratiquer à plusieurs reprises les façons de faire, mais aussi le processus au complet pour y parvenir avec de plus en plus d’aisance. Ainsi, un autre principe pour une approche plus inclusive de l’écriture est d’offrir des modèles et plus de temps de pratique afin que ce qu’on enseigne aux élèves ait la chance d’être appris avant d’être évalué.
Être soi-même un modèle, c’est un incontournable! On a pu observer que quand on écrit devant les élèves ou qu’on partage nos textes, ça les incite à imiter ces comportements. En plus, si on mentionne nos questionnements, hésitations et ressentis, on normalise ce qu’ils vivent. Ils apprennent en nous voyant être et faire. On ne partage pas seulement la finalité de nos réflexions et de notre travail!
Encourager les élèves à s’entraider avant et pendant la rédaction permet à ceux qui verbalisent leur façon de procéder d’en prendre conscience et de l’intégrer davantage. Ça offre aussi la chance de trouver un modèle qui leur est accessible pour surmonter divers obstacles, sans que l’enseignant soit la seule personne à pouvoir les aider! Plus les élèves savent ce qu’ils doivent développer comme habiletés et ce qui est attendu d’eux, plus ils pourront, entre eux, se soutenir. La capacité de vos élèves à progresser vous épatera! Il y a beaucoup de bénéfices à encourager le partenariat lors de l’apprentissage en classe, comme lorsque vous collaborez avec vos collègues.
Voir ce que les élèves arrivent à faire et ce qu’ils pourraient essayer en cours d’apprentissage leur permet de progresser d’où ils sont, plutôt que de mettre l’accent sur ce qui n’est pas encore fait, en plus de les aider à prendre conscience de leurs réussites. (« Je vois que tu as pris des décisions pour séparer ton texte en paragraphes, c’est une excellente chose à faire dans tous les textes. Dans un récit d’aventures, j’ai pu remarquer que chaque fois qu’un personnage s’ajoute, qu’on change de lieu, qu’il y a un saut dans le temps ou qu’une nouvelle action commence, c’est là qu’on change de paragraphe. Qu’est-ce qui a guidé tes choix à toi ? ») Parfois, l’accompagnement se fait individuellement. Parfois, la similitude des besoins permet de donner des rétroactions en sous-groupes.
Relier les apprentissages scolaires à la vie réelle
Apprendre, c’est ajouter une nouvelle connaissance à celles que l’on détient déjà et lui donner un sens en organisant logiquement cet ajout dans notre cerveau. Ainsi, pour qu’un apprentissage soit signifiant, il doit trouver écho dans la réalité actuelle de l’apprenant et des liens avec ce qu’il connaît doivent pouvoir se tisser.
Faisons émerger leur bagage de vie de 13, 15 ou 17 ans pour donner de la valeur à ce qu’ils détiennent : « Dites à votre partenaire d’écriture dans quelles circonstances vous avez pris le temps de choisir les mots que vous avez utilisés. Essayez ensemble de déterminer pourquoi c’était important de le faire à ces moments-là. »
En plus de partager mes écrits, je prends souvent le temps de parler d’une stratégie qui a été utilisée par un élève. Par exemple, j’ai mentionné à mes élèves que j’avais remarqué que Liam s’était inspiré du roman Klonk pour écrire sur « la maladie de l’adolescence » dans son carnet.
C’était quelques jours après la lecture de ce roman en classe. Lorsque Liam a partagé son texte, j’ai senti qu’il s’était amusé à se moquer des adolescents sur le même ton humoristique que François Gravel, mais en puisant dans ses ressources personnelles. Je me réjouissais de voir que l’élève avait choisi d’écrire à partir d’une lecture inspirante. Cela fait partie de l’autonomie que l’on cherche à développer en enseignant l’écriture. Lorsqu’une telle situation arrive en classe et qu’elle est rendue explicite et partagée, je remarque que les autres élèves reproduisent ce genre de technique parce qu’elle leur a été rendue visible par un de leurs pairs. En plus, cela nourrit la fierté de l’élève qui a partagé son texte. Vous serez à même de constater que le partage deviendra contagieux!
Nous devrions nous demander pourquoi apprendre ce genre littéraire à cet âge a un sens pour nos élèves et quels liens existent entre les différents genres qu’on leur fait explorer. C’est écrit dans la progression des apprentissages, mais au-delà du cadre, quel autre sens y a-t-il ? Quels sont les liens avec la vie réelle ?
Réfléchissons aux contextes que l’on retrouve dans les textes de ce genre (revue, blogue, publication Facebook, livre, etc.) et identifions les paramètres d’une situation de communication impliquant ces écrits (nombre de mots, choix de sujet, forme, lectorat, etc.) pour les aider à écrire pour de véritables raisons.
Conclusion
Selon Vienneau, le respect des différences, l’entraide, la communauté d’apprentissage, l’unicité de chacun et la reconnaissance de la part de l’autre dans la construction de soi seraient les valeurs fondatrices de l’inclusion. Il est évident qu’une seule personne ne peut répondre aux besoins de chacun à tout moment. Le morcellement des apprentissages sous forme de savoir-faire, l’accès à des modèles et à des points de repère, l’installation d’une dynamique d’échanges visant à se soutenir les uns les autres en classe et le rapprochement entre le genre appris et la vie dans laquelle les élèves évoluent pourraient bien être quatre pistes menant à une pratique de plus en plus inclusive où chacun a l’occasion de faire un pas de plus sur son chemin et d’en être fier.
Pour aller plus loin
- Calkins, L. (2019). L’atelier d’écriture, fondements et pratiques. Chenelière Éducation. https://www.cheneliere.ca/fr/atelier-d-criture-8-12-ans-9782765079972.html
- Kittle, P. (2018). Write beside Them, risk, voice and clarity in high school writing, Heinemann. https://www.heinemann.com/products/e07817.aspx
- https://ateliersecrituresecondaire.wordpress.com/
- https://fr-fr.facebook.com/groups/1487772077951129/
- https://rire.ctreq.qc.ca/les-ateliers-decriture-que-faire-pendant-que-les-eleves-ecrivent/
- https://correspo.ccdmd.qc.ca/wp-content/uploads/2018/09/correspondance-cinq-pistes-pour-favoriser-le-developpement-des-competences-a-lecrit-la-planification-dun-texte-pourquoi-comment-.pdf
- https://correspo.ccdmd.qc.ca/document/haro-sur-lecole/jai-fini-ah-oui-les-obstacles-a-la-revision/
- Carpentier, G., Villeneuve-Lapointe, M., Robillard, J.-M., Sirard, A., Tardif, C., Gallant, A. (2023). La zone proximale de développement au service de l’apprentissage durable, Vivre le primaire, 36(2), 72 -74.
- Chartrand, S.-G., Émery-Bruneau, J. et Sénéchal, K. (2015). Caractéristiques de 50 genres pour développer les compétences langagières en français (2e éd.). DIDACTICA, C. É. F.
- Hand, E. (2023, 18 mai) Revision: The Heart of the Writing Process [communication]. Colloque De mots et de craie, Sherbrooke.
- Prud’homme, L. et Ramel, S. (2016). Introduction. Dans L. Prud’homme, H. Duchesne, P. Bonvin et R. Vienneau (dir.), L’inclusion scolaire : ses fondements, ses acteurs et ses pratiques (p. 15 à 17). De Boeck Supérieur.
- Vienneau, R. (2016). Introduction. Dans L. Prud’homme, H. Duchesne, P. Bonvin et R. Vienneau (dir.), L’inclusion scolaire : ses fondements, ses acteurs et ses pratiques (p. 21 à 24). De Boeck Supérieur.
Un peu plus sur l'autrice
Bachelière en enseignement du français au secondaire, Anick a eu la chance de guider l’apprentissage d’élèves pendant 12 ans avant de travailler comme conseillère pédagogique. À la frontière entre le milieu pratique et le milieu scientifique, ce rôle permit à Anick d’explorer ce que la littérature professionnelle et scientifique pouvait donner comme pistes pour l’enseignement de l’écriture. Dans un groupe de codéveloppement pendant plus de six ans, Anick a expérimenté plusieurs gestes d’enseignement de l’écriture. Elle s’intéresse au rapport à l’écriture que les élèves développent et qui influence leurs expériences d’écriture ainsi qu’aux conditions favorisant le développement professionnel.
Merci à Stéphanie Robichaud et Nancy Lachance pour l’ajout de leur réflexion à cet article!